Danser au bord de l’abîme

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Danser au bord de l’abîme on imagine aisément le danger… on tourne, on virevolte, on s’amuse, mais un pas à côté et c’est la catastrophe !
Un peu comme le livre éponyme de Grégoire Delacourt : lecture sympathique, attachante mais un mot de trop et on frôle l’indigeste, on danse dans le vide.

Emma, quarante ans, croise le regard d’un homme dans une brasserie. Coup de foudre. Après, impossible de revenir en arrière. Elle quitte quinze ans de mariage, trois enfants, un bonheur convenu. Pour une bouche, quelques paroles, la promesse d’une nouvelle vie à deux et un unique baiser.
« Je crois que l’on trébuche amoureux à cause d’une part de vide en soi. Un espace imperceptible. Une faim jamais comblée. »

En littérature, j’aime être surprise, je n’aime pas que l’on prémâche mon travail imaginatif, qu’on simplifie ou qu’on sorte des belles phrases toutes faites, percluses de clichés, « emballé c’est pesé », remplies de bons sentiments ou de vérités universelles mièvres.
« On essaie toujours de comprendre pourquoi les choses basculent. Mais quand on le découvre, on est déjà de l’autre côté. »
(non mais sérieux ?)
« Alexandre était un incendiaire et j’avais envie d’être enflammée. »
(non mais sérieux ? bis)

Surtout, quand le charme opère, au détour d’un paragraphe, incognito, sans fioritures, sans roulement de tambour (un des nombreux exemples que j’ai noté) :
« Un visage […] fait pour les rides et tous les bonheurs qu’elles avouent. »

Pas de besoin d’en faire des caisses, des tartines en veux-tu, en voilà, comme ici :
« Je veux dire que le poids d’un mort m’est passé dans les veines. »
« Je veux dire que je cherche le vide parce que le vide me ressemble. » (au secours)

Le style, malgré quelques fulgurances poétiques, est lourd et compassé. Les « je vois », « je veux dire que », « je sais maintenant que » qui précèdent ces apophtegmes dénués de sens tuent l’harmonie du texte.

Parce que sous cet étalage de phrases au pouvoir magique incroyable de faire lever les yeux au ciel et de gâcher la poésie et l’émotion du livre, il y a des personnages attachants. Des retournements de situations diablement intéressants. Qui nous confrontent à nos peurs, nos doutes. Une vision juste de la maternité, de sa solitude parfois, de ses urgences, de ses besoins, de ses craintes aussi. Et la question lancinante qui interpelle tout au long du livre : que risque-t-on quand on risque tout ?

Cette lecture m’a rappelé un mauvais Gavalda. Et pourquoi lire du mauvais Gavalda (alors qu’en plus on lit du Delacourt), quand on peut en lire du bon ?

À mon tour de partager une petite maxime (ne me remerciez pas) pour illustrer cet avis qui n’engage que moi, et qui sera le mot de la fin :
L’émotion, c’est comme le silence, quand on la nomme, elle disparaît.
(merci)

Un petit mot ?