♥♥ – 2/5
Ce livre m’intriguait depuis quelques temps. C’est l’éloge du libraire de Terminus Polar qui m’a décidé à l’acheter.
Le 9 juin 1870, Charles Dickens meurt, laissant inachevé Les mystères d’Edwin Drood, roman policier avant l’heure. Il n’a pu écrire que six épisodes sur les douze prévus. Cinq ans plus tôt, Dickens était miraculeusement sorti indemme d’un dramatique accident de train. Dan Simmons s’empare de cet événement : alors que Dickens tente d’aider les voyageurs blessés, il aperçoit un personnage spectral au nez et aux doigts coupés, Drood. Dickens se rend chez l’écrivain Wilkie Collins, son collaborateur et rival, et lui fait part de l’épisode étrange qu’il vient de vivre. Les deux compères se mettent en chasse de leur Moriarty – ennemi le plus redouté de Sherlock Holmes – à eux : Drood. À travers les bas-fond de Londres à l’époque victorienne, dans le brouillard des hallucinations de Wilkie Collins qui abuse de son traitement au laudanum, on découvre un Dickens promeneur infatigable, féru d’hypnose, amoureux clandestin d’une jeune actrice et dont le sombre esprit se fêle un peu plus à chaque page.
Quelle déception ! La 4e de couverture promettait une quête haletante dans le Londres victorien, il n’en est rien.
D’une longueur et d’une lenteur à tuer tout suspense, cette intrigue est ponctuée de rebondissements – qui pourraient y insuffler un rythme soutenu et captivant – que l’auteur s’échine à saborder – intentionnellement !
J’ai tatonné longtemps pour classer ce livre dans un genre littéraire : polar ? biographie ? fantasy ? Sans succès. Cette oeuvre est une mélange des genres assez perturbant où le lecteur se perd. Certains passages ressemblent à une énumération de faits sur la vie de Dickens, que l’on pourrait trouver dans une biographie. Certes le travail de documentation de l’auteur est titanesque, mais je reste dubitative sur l’objectif de l’auteur : quel livre a-t-il souhaité écrire ?
Néanmoins, l’écriture fluide est très agréable au style victorien. Les personnages sont fouillés, denses et l’atmosphère prenante. Dickens et Collins sont plus vrais que nature, on oublie parfois Dan Simmons derrière la narration de Collins. Etonnamment, je n’ai ressenti aucune empathie envers ces deux personnages principaux. Collins est antipathique, paranoïaque, calculateur et froid. Dickens, dépeint par son rival, l’est tout autant. Difficile de faire la part des choses, mais cela appelle à un comblement de mes lacunes dickensiennes.
Les œuvres de Collins sont méconnues du grand public, ce livre donne envie de découvrir cet auteur complément barré (j’en ai lu deux ou trois) mais plus par voyeurisme (sa consommation excessive de laudanum et d’opium engendrait une psychose hallucinatoire où il parlait à son « dubbelganger »), que par intérêt littéraire (de toute manière l’intrigue et les rebondissements de ses principales œuvres sont dévoilées).
Et tout ce tintouin autour de Drood, pendant 1200 pages, pour que cela finisse en queue de poisson !
On s’attend à des réponses sur la mort de Dickens, sur son oeuvre inachevée, la déception est grande car le mystère reste entier.
« – le véritable assassin du mystère d’Edwin Drood, n’est autre que…
Les cloches de la grande tour qui se dresse derrière nous se mettent à sonner. (…)
– Vous disiez ? soufflé-je. L’identité du magnétiseur ? Le vrai meurtrier ?
Dickens croise les doigts sur sa poitrine. « J’en ai assez raconté pour cette nuit. » Il secoue la tête, soupire et esquisse l’ombre d’un sourire. « Et pour cette vie. » »
Much ado about nothing.
A défaut de porter ce livre aux nues , je partage cet extrait sur le métier d’écrivain, qui m’a touché :
« Et quand la Mort arrive, ne serions-nous pas prêts, pour la plupart d’entre nous, à céder toutes ces pages, toute cette vie gaspillée en pattes de mouche et en gribouillis, contre une seule journée de plus, une seule journée pleinement vécue et ressentie ? Quel prix serions-nous prêts à payer, nous autres écrivains, pour cette unique journée supplémentaire passée en compagnie de ceux que nous avons ignorés tandis que nous étions enfermés à grattouiller et à griffonner au cours de nos arrogantes années d’isolement solipsiste ?
Échangerions-nous toutes ces pages contre une heure, une seule heure ? Tous nos livres en échange d’une minute réelle ? »